Du baston à l’ducasse

Le 15 mai 1526, il y a fête à Houvin. On boit, on danse, on s’esbatte. Il éclate une bagarre qui fera un mort. Nous en avons connaissance parce que les participants ont demandé une lettre de rémission à l’empereur Charles Quint. Oui, à Charles Quint, car dans le match entre François 1er et Charles Quint, nous autres en Artois faisions partie de l’équipe de Charles Quint.

Une Lettre de rémission est un acte par lequel l’empereur accorde son pardon à la suite d’un crime ou d’un délit, arrêtant ainsi le cours de la justice. Il y a deux lettres de rémission dans cette affaire. Une concerne les frères de Gosson, Antoine Merlin et Jean Bracquart, l’autre Jacques Le Cuvelier.

Charles, etc, savoir faisons à tous présens et avenir, nous avoir receu l’umble suplicacion de Pierot de BÉCOURT, demourant à Hovin en notre pays et conté d’Artois, contenant comme le jour de Saint Marc dernier passé, ledict supliant et Jehan de BÉCOURT son frère estoient lors au villaige de Houvin, et aprez disner que les vespres estoient dites, ledit Jehan non pensant à aucun mal rencontra auprez du cimontière de l’église dudict lieu ung nommé Jehan GRÉGOIRE, lequel trois sepmaines auparavant avoit esté présent où N… de BÉCOURT frère dudict supliant et dudict Jehan, avoit esté tué, dont ledict GRÉGOIRE n’avoit obtenu rémission ne fait paix à partie. Et le véant et non sachant refaindre son couraige, meu de courroux et de chaulde colle, faisant signe de tirer son espée dont il estoit garny, dit audit Jehan GRÉGOIRE ces motz ou en substance : deffend toy traistre, tu as tué mon frère. Quoy voiant et oyant, ung nommé Jehan BONNEL dit Ticquet, rua d’une pierre aprez icellui  Jehan BÉCOURT, dont il l’asséna et blessa en la teste à sang courant et playe ouverte, que lors ledict Jehan soy sentant ainsi blessé, desgaigna incontinent sedicte espée et s’approcha dudict BONNEL pour lui cuider faire desplaisir. Ce véant, feu lors vivant Robert HECQUET beau-frère dudict Jehan BONNEL vint auprès dudict Jehan GRÉGOIRE et luy print et osta une rapière qu’il avoit en sa main, et à tout icelle vint assaillir ledict Jehan de BÉCOURT, et lui dit : par la mort Dieu, je te tueray, en ruant plusieurs cops sur ledict Jehan, lequel reculoit et se deffendoit au mieulx qu’il polt en disant : Robin, que me demande tu, je ne vous demande riens. Mais ce nonobstant, ledict Robin ne cessa de ruer aprez ledict Jehan, lequel tousiours se defendoit et ruoit après ledict Robin, et durant ledict débat, ledict supliant frère dudict Jehan, lequel estoit assez prez de de la maison de son père, et oiant dire que son frère estoit en grand dangier d’estre tué, accourut incontinent audict conflit et débat à tout une arbalestre bendée en sa main et un vireton dessus. Et lui illec venu et véant sondict frère blessié, non sachant qu’il avoit fait aussi que ledict Robert ne desistoit de ruer sur icelui Jehan son frère, se mist en devoir de desserrer sondict arbalestre sur le dict Robin. Mais Peirotin BÉCOURT frère aussi dudict supliant qui n’estoit présent, sans qu’il n’estoit aucunement meslé dudict débat, lui empescha par deux ou trois fois, néanmoins ledict supliant en criant et disant : se garde qui veult, tira et desserra sondict arbalestre sur ledict Robin, lequel il attaindi au costé dont icellui Robin tumba par terre et termina lendemain vie par mort.(…). Donné en notre ville de Malines, le vendredi Saint ou mois de mars l’an de grace mil cincq cens vingt et trois, et de noz règnes asavoir des Romains et Hongrie le cinquiesme, et des Espaignes et autres le huitiesme ; par l’empereur en son conseil ; signé Darthe.

Charles, etc, savoir faisons à tous présens et avenir, nous avoir receu l’umble supplication de Jacques LE CUVELIER, saietteur, josne compaignon à marier, du villaige d’Ambrines en notre pays et conté d’Artois, contenant comme ou mois de mai XVC XXVI le jour et solempnité du Saint Sacrement, ledit supliant, après avoir esté et oy la messe paroicialle dudit Ambrines, se seroit d’ilec party seul pour s’en aller au vilaige de Houvun distant environ d’une lieue dudit Ambrines, à intencion de veoir les dansses et esbatemens qui se faisoient audit Houvun, à cause de la feste dudit lieu comme faisoient pluiseurs autres des villaiges circonvoisins. Et aprez que iceluy supliant fut certainne espace de temps ilec, il alla environ deux ou trois heures au lieu où lesdites dansses et esbatemens se faisoient, sans penser à quelque mal. Auquel lieu il trouva pluiseurs josnes compaignons dudit Ambrines, ensemble des villaiges de Rieulecourt et Maisières, lesquelz danssoient en ladite dansse et entre autres y estoient trois des filz de Anthoine GOSSON censier dudit Ambrines et autres compaignons dudit villaige de Rieullecourt, que ledit supliant ne cognoissoit, sinon que ung nommé Anthoine MARTIN qui estoit embastonné d’une arbalestre et se y estoient aussi aucuns compaignons dudit villaige de Maisières, comme Melcir BOQUET, Mathieu LEGAY et Jehennet LEGAY son cousin germain, acompaigniez de pluiseurs autres compaignons. Lequel Melcir BOSQUET, qui est homme assez noisif, se adressa à ung josne filz d’Ambringnes nommé Loys MARLIN en luy demandant s’il vouloit qu’il luy donne deux cops de rapière pour la pareille. A quoy ledit MARLIN respondit qu’il ne volloit nulz coups et si n’en voulloir nulz donner à personne. Et ung peu de temps aprez environ six heures du soir, ledit Melcir meut débat contre les filz dudit Anthoine GOSSON. Lequel débat fut rompu de pluiseurs gens par deux foiz, mais ledit Melciore se voulloit contenter veullant tousiours recommencer. Tellement que iceluy débat fut groz et y estoient, de la bende dudit Melcir, Vallet LEGAY et autres, et du costé desdits enffans Anthoine GOSSON ledit supliant avec autres. Ouquel conflict et débat y en eut pluisuers navrez tant d’un costé comme de l’autre et ledit supliant ayant une arbalestre et receut pluiseurs cops tant dudit Melcir comme dudit Vallet LEGAY. Durant lequel débat ledit Mathieu LEGAY, cousin germain dudit Vallet, se fourra audit débat, ayant sa rapière nue en sa main pour y mettre le bien, comme ledit supliant a depuis entendu. Néantmoins iceluy supliant, lors ignorant ce, meimes entendant que ledit Mathieu LEGAY se meyt du costé dudit Vallet LEGAY son cousin germain, allencontre de luy supliant et autres ses consors, pour leur nuyre et grever, il de chaude colle auroit frappé ung seul cop d’espée sur la teste dudit Mathieu LEGAY, duquel trois ou quatre jours aprez il esta llé de vie à trespas. (…)

Les deux lettres racontent à peu près la même chose. À la fête du village de Houvin, Melchior Bocquet, de Maizières se prend de querelle sans raison apparente avec Louis Merlin d’Ambrines, puis avec Adrien Guffroy de Roellecourt, se servant de son épée. Les jeunes gens de Roellecourt viennent à la rescousse ainsi que les cousins de Bocquet dans l’autre camp. La bataille fait plusieurs blessés dont certains par tirs d’arbalète. L’un des blessés, Marthieu Legay blessé à la tête d’un coup d’épée de Jacques Cuvelier mourra quelques jours plus tard.

On a affaire ici à des jeunes gens à marier partis « faire la fête ». Ce sont aussi des jeunes gens aisés, les gens du petit peuple ne se promènent pas avec des épées et des arbalètes. On verra plus loin que les frères de Gosson ont un père bailly et que le frère de Melchior Bocquet est dîmeur.

Bracquart, Guffroy, Grincourt, Cuvelier sont des noms courants dans cette région, des noms qui sont présents dans notre généalogie, mais sans que nous puissions les y rattacher. Par contre, Melchior Bocquet, qui il faut bien le dire est responsable de cette bagarre, figure sur notre arbre ainsi que les frères de Gosson.

Le père des deux frères de Gosson est Antoine de Gosson qui est censier, il possède donc une grosse ferme. Il est aussi Bailli d’Ambrines. Pour l’anecdote, il a pour mère Marie de Hauteclocque fille de Régnault de Hauteclocque. Si à partir de Régnault on remonte d’une quinzaine de générations, on voit apparaître un certain Maréchal Leclerc de Hauteclocque.

Nous ne savons pas ce qu’il est advenu de Melchior Bocquet à la suite de cette sombre histoire. Nous savons qu’il avait plusieurs frères, ainsi Philippe, fermier pour l’abbaye de Neuville et dont l’un des fils, Jean Bocquet eut pour épouse une Marie de Gosson.

Un autre de ses frères, Gaspard est notre ancêtre direct. Celui ci est censier à Penin et dîmeur des abbesses d’Etrun, c’est à dire que c’est lui qui perçoit la dîme sur l’ensemble des terres appartenant aux abbesses à Penin, Villers Sir Simon et Doffines.

Plusieurs générations de Bocquet nous amènent à Marie Anne qui épouse Philibert Cuvillier en 1726, puis après encore quelques changements de patronymes, nous arrivons à notre arrière grand père, Henri Liéval né à Manin en 1861.

J’ai trouvé les lettres de rémission sur le site d’Albert Fournet : http://fournetmarcel.free.fr/remission.htm

Pour la généalogie des de Gosson, je me suis principalement inspiré de Jean Jacques Chabrier et de V. Farcy pour les Bocquet tous deux sur Généanet.

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